Les images d’Ukraine d’Antonin Peretjatko
On aime Antonin Peretjatko aussi pour le fait qu’il soit insaisissable, jonglant avec les formats et avec les registres, tournant en pellicule quand il le souhaite, comme à travers ce moyen métrage faisant partie des sorties cinéma de cette semaine : Voyage au bord de la guerre.
On parle de “moyen métrage” à dessein, car le film dure seulement 62 minutes, un calibrage buissonnier qui cadre bien avec la personnalité et le parcours du cinéaste, déjà parti à l’attaque du genre documentaire avec Les rendez-vous du samedi, sur le motif des Gilets jaunes, en 2021 (alors sur 53 minutes, avec déjà une sortie en salles bricolée…).
Avec Voyage au bord de la guerre, c’est d’abord un postulat familial qui l’a décidé à filmer : son propre grand-père était d’origine ukrainienne et il est arrivé en France, orphelin, dans les années 1920, soit un siècle avant l’invasion du pays par la Russie de Vladimir Poutine. Au début du conflit, le réalisateur décidait donc de partir vers la terre de son ancêtre, en dispositif ultra-léger, muni de sa petite caméra 16 mm, vers les zones de guerre, sans savoir précisément ce qu’il y trouverait et ce qu’il filmerait.
La singularité de son témoignage est d’être radicalement différent de tout ce qu’on a pu voir sur nos petits écrans, depuis trois ans et demi, de cette guerre invisible et pourtant omniprésente, comme il le précise lui-même au début de son périple, alors qu’il est arrivé à Lviv. Le grain de son image donne une réalité sans pareille à tout ce qu’il filme – paysages ravagés, témoins de l’agression russe, trajets automobiles, files d’attente aux pompes à essence, etc.
Le spectateur a le sentiment réel d’être entraîné à l’intérieur, tandis que le style emblématique du cinéaste, avec son utilisation de la voix off et son humour posant une distance lorsque cela semble possible, sinon nécessaire, amplifie ce pas de côté, avec un cachet très personnel rappelant Vous voulez une histoire ?, court métrage tourné quelques années auparavant lors d’un long voyage ferroviaire à travers… la Russie ! Voyage au bord de la guerre commence d’ailleurs avec des images issues de cette aventure filmique, livrant un mini-portrait drôle et sans concession de ce pays à la psyché mystérieuse, sinon incompréhensible à nos usages.
On retrouvera le nom de Peretjatko à la fin octobre avec la sortie d’un nouveau long métrage de fiction, Vade retro, qui aborde le genre du film de vampires. Insaisissable, avions-nous dit ? Pas tant que ça, à la réflexion, l’obsession mortifère poutinienne sur une démocratie libérale valant bien un suçage de sang.
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