Cahier critique 30/11/2021

“Vous voulez une histoire ?” d’Antonin Peretjatko

Vous voulez une histoire ? Mettez deux filles dans un train et imaginez que l’une d’entre elles est rousse.

Le long métrage La fille du 14 juillet racontait comment Hector, pour séduire la jolie Truquette, décidait de l’embarquer sur la route des vacances (voir Bref n° 107). Antonin Peretjatko brisait bien vite la ligne claire annoncée du récit, devant mener de Paris au Sud de la France, et du désir à la romance, pour y intégrer les circonvolutions d’un humour absurde, un discours politique irrévérencieux et un éclatement savamment orchestré du récit.

Combinant le cours d’un voyage avec celui d’une relation amoureuse, Vous voulez une histoire ? s’annonce comme le digne successeur de son aîné. Si le transsibérien emmène le spectateur au bout du monde, sa trajectoire rectiligne se voit vite trompée par des déviations et chemins de traverse. Car avant d’être une histoire, le matériau de ce film est d’abord un carnet de voyage, une collection de souvenirs tournés en 16 mm un peu partout lors d’un tour du monde effectué voilà quelques années par le cinéaste. De ces images éparses non pas trouvées, mais filmées sans idée préconçue, le montage s’attelle à faire récit.

La logique de l’agencement des plans trouve dans la voix off un complice à leur fictionnalisation. D’un ton mi-péremptoire, mi-insolent, cet aventurier omniprésent mais invisible s’adresse directement au spectateur, commente et oriente le sens des images. En répondant aux codes du récit, tout en les désamorçant, en chamboulant les étapes pour transformer l’histoire en la promesse de plusieurs, la voix nous invite aussi à un voyage dans le passé.

Les images de non-lieux qui évoquent tous le voyage (halls d’aéroports, quais de gare, paquebots) et la beauté nostalgique du 16 mm amènent le spectateur à suivre les ramifications d’une histoire qui se métamorphose sans cesse, jusqu’à devenir son propre souvenir. “Vous voulez une histoire ?”, questionne la voix off, comme si le film pouvait en offrir mille, comme si aller au bout du monde permettait également, comme elle l’appelle de ses vœux, d’aller “au bout d’un souvenir, au bout d’un sentiment”.

Raphaëlle Pireyre

France, 2014, ­10 minutes.
Réalisation, scénario, image et montage : Antonin Peretjatko. Son : Martial de Roffignac et Antonin Peretjatko. Interprétation : Pauline Ghersi, Lucie Borleteau et Laure Giappiconi. Production : Le Septième Continent, Potemkine Films et Cosmodigital.