
La nuit n’en finit plus
Valentine Cadic
2022 - 7 minutes
France - Documentaire
Production : Les Filmeuses
synopsis
Confinée seule à Paris, une jeune femme évoque son expérience de la solitude : ses manques, ses désirs, ses rêves, dans une nuit qui semblerait infinie.
biographie
Valentine Cadic
Née en 1996, Valentine Cadic est réalisatrice et comédienne. On l'a vue ainsi, entre autres, devant la caméra de Léa Mysius dans son court métrage de la Fémis Les oiseaux tonnerre, en 2013, puis dans son premier long, Ava, en 2017.
Valentine Cadic a fréquenté l'école de théâtre Les Enfants terribles et a étudié à l'Université de Paris-8 en L3 Cinéma et en Master en réalisation. Elle est également membre fondatrice de l'association Les Filmeuses, créée en 2020.
La même année, elle réalisait son premier court métrage : Omaha Beach. Le film, tourné en Normandie, était alors sélectionné à Brest, à Clermont-Ferrand et à Côté court, à Pantin.
Conçu dans le cadre de la Résidence des 168 heures, dans les Alpes, Les grandes vacances suivait en 2022 et se voyait sélectionné pour concourir au César du court métrage de fiction l'année suivante après avoir circulé dans de nombreuses manifestations majeures (Brest, Clermont-Ferrand, Contis, La Bourboule, Moulins, Sarlat…) et valu à sa comédienne Blandine Madec le Prix d'interprétation féminine à Côté court.
Valentine Cadic achève également en 2022 son film de fin d'études, La nuit n'en finit plus, présenté à son tour à Pantin, en compétition Essai/Art vidéo. On a pu aussi la voir parallèlement comme actrice dans La vérité d'Hirokazu Kore-eda (2019) et Le bal des folles de Mélanie Laurent (2021).
En 2024, son nouveau court métrage documentaire, La saisonnière, est produit par Tripode Productions. Elle développe alors également un projet de premier long métrage, tourné durant les Olympiades à Paris. Initialement intitulé Les jeux, il prend le titre du Rendez-vous de l'été et sort en salles en juin 2024 aprè§s avoir été présenté dans plusieurs festivals internationaux, notamment la Berlinale et San Francisco.
Ayant de nombreuses cordes à son arc, Valentine Cadic a signé aussi un clip, pour la chanson Les amoureux parapluies de Justine Chasles, montré lui aussi à Côté court, en 2025.
Critique
Et j’attends que quelque chose vienne. Mais je ne sais qui, je ne sais quoi. J’ai envie d’aimer.
À présent, la nuit se lève et le jour tombe. On est en plein confinement pour endiguer la propagation du Covid-19 et les repères se sont brouillés ; la circularité du temps, ou bien peut-être sa suspension, est devenue palpable.
À présent, l’extérieur entre et devient intérieur. On est en plein confinement et la dynamique des espaces est bousculée. Renversée. En huis clos, les paysages se sont mêlés, les habitations et les rues ont fusionné.
C’est dans cette logique en oxymore que Valentine Cadic choisit d’ouvrir La nuit n’en finit plus, court métrage laboratoire aux contours essayistes qui se fond dans le contexte et prend le temps de réfléchir sur ce qu’il raconte et montre. “Le présent est toujours quelque chose qu’on est en train de rater”, disait l’écrivain belge Stefan Hertmans. Devenant sans prétention une trace parmi d’autres de cette période vécue par tous, ce petit bijou de cinéma nous fait la retraverser en pensées, en émotions, en sensations. La jeune réalisatrice y injecte la juste dose d’intime pour permettre l’universel et le faire résonner ainsi en chacun de nous.
Sans voyeurisme aucun, une caméra hésitante glisse le long de grands immeubles et s’arrête sur certaines fenêtres dans lesquelles des silhouettes se dessinent. Leurs visages sont indiscernables, leurs actions illisibles ; elles sont comme autant d’habitants enfermés depuis plusieurs semaines déjà. L’aspect fractionnaire de l’image dans cette recherche vaine de l’altérité disperse plus qu’elle n’assemble, isole plus qu’elle ne lie. Soudain la présence-absence derrière la caméra se dote d’une voix. Le son de la VHS s’adoucit. “En ce moment avec le confinement, il n’y a plus trop de vie la nuit” : conjugué au présent, ce constat rend intemporel ce qui constituait notre quotidien il y a cinq ans maintenant. Ces jours déchirés entre ennui, repos, introspection. Masques, vaccins, télétravail, couvre-feu : un champ lexical qui s’était imposé d’un coup comme dominant. Nous voilà à nouveau plongés dans cette monotonie qui nous enveloppait si nous n’appartenions pas au corps médical. “Je préfère fantasmer en ce moment”, avoue-t-elle quelques secondes plus tard. Un peu comme le prologue d’un livre, Valentine Cadic annonce la couleur de ce qui suivra : une nécessité d’évasion. Mais, comme les pages d’un livre, le médium VHS est fragile, éphémère.
Les politiques et le gouvernement seront désignés par “ils”, feront “ce qu’ils veulent de nous”, nous empêcheront de nous projeter, nous étoufferont. L’identification sera indéniable et donc puissante. La matérialisation d’un souvenir. “J’ai envie de vivre. Malgré le vide de tout ce temps passé, de tout ce temps gâché et de tout ce temps perdu”. Dans cette chronique âpre, Valentine Cadic finit par convoquer l’été et s’inspire de la façon qu’avait Akerman de filmer les femmes chez elles pour brosser en filigrane le portrait des baba yaga, une communauté de femmes installées à quelques mètres de chez elle, qui ont décidé de vieillir ensemble. “Chacune chez soi, mais ensemble”, comme elles se définissent, en analogie avec ce qu’imposait le confinement. En regard du premier plan de ce court métrage, se dessine soudain quelque chose de plus flottant, de plus impalpable. “Dire qu’il y a tant d’êtres sur la terre qui, comme moi, ce soir sont solitaires”. Les paroles de Petula Clark qui résonnaient quelques minutes plus tôt se confondent étrangement avec le propos. De ce conte en mosaïque, de ce collage à proprement parler, émane alors le cri du cœur d’une jeunesse confinée. Et quand la nuit n’en finit plus, il reste la puissance d’évasion par l’imagination. Et cela, personne ne nous l’enlèvera.
Lucile Gautier
Réalisation et scénario : Valentine Cadic Image : Naomi Amarger. Montage : Helio Pu. Son : Mathieu Barbier, Louise Buchart et Matthieu Fraticelli. Interprétation : Sarha Belot, Colly Julie, Fantine Gregorio Colly, Anahita Navaei et Marie Mottet. Production : Les Filmeuses.