
Grande vitesse
Manon Kneusé
2021 - 16 minutes
France - Fiction
Production : Une fille Productions
synopsis
Sur le ferry vers Bastia, un homme avec un cigarillo observe une grande femme perchée sur des talons et va spéculer tout au long d’un trajet qui se poursuivra dans le Trinichellu. Des kilomètres à travers la Corse pour apprendre à la connaître, la comprendre... et peut-être même l’aider.
biographie
Manon Kneusé
Manon Kneusé est d'abord comédienne, formée au Studio-Théâtre d'Asnières, puis au Conservatoire national supérieur d'art dramatique (2008-2011). Elle a depuis beaucoup joué au théâtre et est apparue dans des longs métrages tels que La jalousie de Philippe Garrel, Situation amoureuse, c’est compliqué de Manu Payet et Rodolphe Lauga, Le petit locataire de Nadège Loiseau, Alice et le maire de Nicolas Pariser ou encore Maigret de Patrice Leconte.
On l'a vue aussi dans de nombreux films courts, de Parmi les sirènes de Marie Jardillier (2016) à Sardine de Johanna Caraire (2022), en passant par La jupe d'Adam de Clément Tréhin-Lalanne (2019) et On n'est pas des animaux de Noé Debré (2021). Elle écrit et réalise le sien, Grande vitesse, qu'elle interprète également en 2021. Tourné en Corse, il est alors présenté en compétition fiction au Festival Côté court de Pantin.
Critique
Pour sa première réalisation, Manon Kneusé, qui est d’abord comédienne, joue dans Grande vitesse de ses atouts physiques, mais en contradiction avec le titre de son film, à savoir une nonchalance de grande gigue d’un mètre quatre-vingts (avec très exactement un centimètre en plus), volontiers maladroite, peu ordonnée, gaffeuse ; corps burlesque évoquant une silhouette “tatiesque” au féminin, le bagout et le sens de la répartie en plus.
Elle est de surcroît perchée sur des talons, ce qui allonge encore cette liane aimantant forcément les regards masculins. D’ailleurs, sur le ferry qui l’emmène hors-saison vers la Corse pour rejoindre un homme (marié), un inconnu la remarque. C’est lui, du reste, qui guide la narration, relatant en voix off ce début d’histoire, à la manière de la littérature noire et des films du même genre, où des types racontent comment telle femme fatale s’est retrouvée soudainement sur leur chemin.
Une entrée en matière singulière, car cette jeune femme, nommée Suzanne Auzépy, n’a guère envie d’envoûter un intrus alors qu’elle vibre seulement de retrouver son amant. Et il a beau avoir plutôt fière allure, cet homme à cigarillo, elle a d’autres plans… Qui échoueront vite, bien sûr, la voyageuse étant singulièrement poursuivie par la poisse, sinon par ses propres manquements (un rendez-vous avec une conseillère de Pôle emploi spectacle, par exemple, qui donne lieu à une scène poilante de “faux répondeur” et à une radiation). Il y a donc pas mal de drôlerie dans la peinture de ce début de séjour foireux en Corse, du port de Bastia aux gares de la ligne du “trinichellu”, qui relie Ajaccio en serpentant à travers les montagnes de l’île, s’arrêtant dans une litanie de localités dont l’inventaire, dans le haut-parleur du train, est comique en soi.
Dans ce cadre somptueux, l’aventure prend des détours inattendus, à l’occasion d’une tentative d’embrouiller – et de corrompre – une contrôleuse pointilleuse ou une prise de conscience que l’amant que l’on brûle de rejoindre n’en vaut finalement pas la peine… C’est en parcourant un lieu dans son essence, au cœur d’une géographie unique, que le personnage se révèle sa propre vérité, grâce à ce curieux ange-gardien tombé du ciel – “ange”, un prénom corse par excellence1, même si Suzanne préfère le baptiser Gérard… Une étape importante se voit ainsi franchie pour elle, sur un registre de comédie qui appelle la notion de fugue, tant elle sied également à ce mouvement de Bach qui rythme le récit, un “Capriccio” aussi sautillant que Suzanne sur ses talons compensés, après qu’elle a posé le pied sur le quai de l’embarcadère, même avec un pansement bandant grossièrement son genou droit écorché.
On notera que Manon Kneusé semble perpétuer ce personnage ici créé, en un sens, à travers d’autres emplois pour d’autres cinéastes, comme dans les courts métrages Hot Spot d’Anaïs Couet-Lannes (2021) et Sardine de Johanna Caraire (2022).
Christophe Chauville
1 Ce n’est pas tout : le personnage de la contrôleuse du train se prénomme Marie-Ange, et la mère de Suzanne l’appelle “mon ange” au téléphone…
Réalisation et scénario : Manon Kneusé. Image : Fabien Faure. Montage : Francis Vesin. Son : Laurent Blahay, Thomas Brzustowski et Thomas Wargny Drieghe. Musique originale : Pascal Sangla. Interprétation : Lionel Dray, Manon Kneusé, Martine Schambacher, Chjiara Fabiani et Cédric Appietto. Production : Une fille Productions.